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La légende de Fenrir, ou les plumes du médiateur

« Les médiateurs ont des ailes. Oui. Celles que leur donne la conviction que les parties prenantes à un conflit sont les mieux placées pour le résoudre, pour peu qu’un cadre adapté leur soit proposé.

Mais s’il y a des ailes, il y a des plumes, et les médiateurs peuvent, comme tout professionnel qui prétend faire œuvre de pacification, en laisser.

Richard Hellbrunn, fondateur de la Psychoboxe propose de s’en rappeler au travers d’une certaine lecture du mythe scandinave du loup « Fenrir ». Toute paix a un prix, et toute velléité de pacifier peut induire un sacrifice d’un peu de soi, même s’il est symbolique et pas physique.

« Les anciens dieux d’Europe du Nord avaient élevé parmi eux un loup dénommé Fenrir .

Tyr, un dieu hardi et brave que les Germains invoquaient au combat et louaient pour sa sagesse, était le seul parmi les Ases à oser lui donner à manger.

Une prophétie disait que ce loup allait causer la perte des dieux, et c’est ainsi que le sentiment d’insécurité se développait parmi eux à la mesure de la croissance rapide du loup Fenrir.

Pour se tirer d’affaire, les dieux inventèrent la prévention : ils décidèrent de fabriquer une chaine pour entraver le loup. Elle était très forte. Ils l’appelèrent Loeding.

Ils proposèrent au loup d’essayer sa force là-dessus.

Celui-ci accepta le défi et rompit la chaîne.

Une seconde chaine appelée Dromi, deux fois plus forte, ne lui résista pas davantage.

Alors les Ases, devant la crainte de ne pas pouvoir juguler la puissance du loup, s’adressèrent à des nains «spécialistes » qui leur fabriquèrent une troisième chaîne, appelée Gleipnir.

Celle-ci était composée de six curieux éléments : bruits de pas de chats, barbe de femme, racines de montagne, nerfs d’ours, haleine de poissons et crachats d’oiseaux. Cette chaîne était « lisse et douce comme un ruban de soie, mais solide et forte».

Une fois de plus, les Ases demandèrent au loup d’essayer sa force sur ce ruban de soie.

Celui-ci répondit : « ce ruban-ci me parait tel que je ne gagnerai jamais aucun renom à rompre une cordelette aussi étroite. Mais s’il est fait par ruse et artifice, puisqu’il a l’air si mince, je ne me laisserai pas mettre aux pieds cette entrave».

Le loup finit néanmoins par accepter l’épreuve, à condition que l’un d’entre les Ases acceptât de mettre sa main dans sa gueule en gage de sa libération.

Nul bien sûr, ne voulut accéder à sa demande, jusqu’à ce que Tyr se risque à engager sa main droite dans la gueule de Fenrir.

Le lacet passé au tour du cou tint bon, à la grande joie des Ases, à laquelle Tyr ne put néanmoins s’associer. Il venait de perdre la main : le prix d’un faux serment.

Le loup de l’histoire nous rappelle qu’«on ne peut pas oublier la dimension intersubjective de la relation avec des personnes violentes. C’est en les réduisant à l’objet de notre emprise que nous déclenchons leur violence ». »

Extrait de « Intégrer la violence », Richard Hellbrunn et Jacques Pain éditions Matrice, 1992. Pages 14 à 18.